Les réflexions autour du télétravail sont apparues dès les années 1980 et ont été notamment théorisées par le rapport Breton en 1993. Ces réflexions ont évolué avec le développement des technologies de l’information et de la communication, la notion de télétravail s’étant beaucoup nuancée et diversifiée.
Introduction
Tout d’abord, l’évolution technologique et des prix. Le développement de l’équipement informatique des foyers, des accès à haut débit et des technologies sans fil permet une dissémination croissante des applications intégrées, facilitant le travail coopératif et le travail à distance. Plus de 43% des foyers ont aujourd’hui un ordinateur contre 36% en 2002 ; la France a doublé en un an le nombre d’abonnés au haut débit, le portant à 6 millions fin 2004 ; 95%, enfin, des entreprises sont aujourd’hui connectées. Ces nouveaux outils permettent de travailler à distance de manière plus confortable et en dehors des locaux habituels de l’entreprise.
Ensuite, en raison des évolutions économiques et organisationnelles des entreprises. Ces dernières font face, de plus en plus, à un environnement très concurrentiel, au plan national ou international, qui leur impose des adaptations, voire des restructurations permanentes. Dans un tel contexte, le travail à distance peut apparaître comme une des solutions permettant de répondre avec souplesse à cette obligation constante d’ajustement, un des outils de flexibilité, permettant, par exemple, de gérer une réorganisation géographique en conservant des compétences au sein de l’entreprise.
L’évolution des mentalités est également un des facteurs de croissance du travail à distance. Si les « trente Glorieuses » ont consacré le travail se déroulant presque entièrement au sein de la même entreprise, les années récentes ont illustré la fragilité des carrières individuelles et les risques de perte d’emploi. Ces difficultés de nature « économiques » se conjuguent à une réorientation croissante des individus et des valeurs vers la sphère individuelle. Ces éléments conduisent certains salariés à une recherche plus forte d’équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle. Exercer une activité professionnelle ne se déroulant plus exclusivement au sein du lieu de travail traditionnel peut répondre à cette aspiration, notamment pour les plus jeunes salariés.
La dernière raison est celle liée à une actualité sociale significative : le 16 juillet 2002 a été signé par le CES, l’UNICE/UEAPME et le CEEP un accord-cadre européen sur le télétravail. Cette signature est la première expression d’un véritable accord entre partenaires sociaux au niveau européen[1] et, même s’il ne présente pas de caractère juridique contraignant, il incite les partenaires sociaux, au plan national, à réfléchir sur les règles à adopter.
La conjonction de ces différents éléments entraîne un développement du télétravail qui concerne de plus en plus d’entreprises et de salariés. Le télétravail change ainsi d’échelle et de nature. Si, jusqu’à présent, il est encore traditionnellement développé au sein de certaines entreprises et réservé à certaines catégories de salariés, en particulier les cadres, on peut néanmoins faire l’hypothèse qu’avec l’actuel déploiement des TIC, tant au sein des entreprises que chez les particuliers, le télétravail tendra à se développer dans de nombreux secteurs d’activité et concernera de plus en plus l’ensemble des catégories de salariés.
Or, si les entreprises et les salariés perçoivent les opportunités de ce développement, ils en ignorent souvent les difficultés, voire les risques. Le télétravail se développe en effet souvent de manière spontanée ce qui peut créer des inconvénients réels pour l’ensemble des acteurs.
L’enjeu est donc de mettre en place un environnement de confiance permettant de valoriser, pour les entreprises comme pour les salariés, les opportunités liées au télétravail. C’est l’objet de la mission confiée, le 28 juillet 2003, par le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité au Forum des droits sur l’internet.
Méthodologie suivie
Le Forum des droits sur l’internet a composé un groupe de travail inter-disciplinaire, constitué de juristes, sociologues, praticiens du télétravail au sein des entreprises et de représentants des administrations concernées (liste des membres en annexe).
Le groupe de travail a procédé, en complément de ses séances de travail collectif, à des auditions de personnalités désignées pour leurs connaissances et leurs expériences des enjeux relatifs au télétravail mais aussi d’entreprises, de collectivités locales ou encore d’organismes publics ayant ou souhaitant mettre en place cette forme d’organisation du travail.
Parallèlement à ces auditions, le groupe de travail a souhaité élargir le domaine des consultations et expériences. Pour cela le Forum a mis en place, sur son site internet, un appel à témoignages(synthèse des contributions en annexe).
Enfin, une comparaison internationale a été menée à travers une demande de contributions faite aux services sociaux de nos ambassades.
Le rôle des partenaires sociaux
Une négociation collective doit prochainement s’ouvrir entre les partenaires sociaux pour transposer l’accord-cadre européen sur le télétravail. Cet accord est le premier à être mis en œuvre par la voie volontaire visée à l’article 139 du Traité sur l’Union européenne. Il ne débouche pas ainsi sur une directive devant être transposée en droit interne par les Etats mais sur un accord collectif qui sera mis en oeuvre selon les procédures et pratiques spécifiques aux partenaires sociaux nationaux.
Les travaux du groupe n’ont évidemment pas pour intention de se substituer à cette négociation ni d’en préempter les résultats. La négociation va se dérouler selon le calendrier et les modalités que les partenaires sociaux fixeront. Les recommandations émises n’ont comme objectif que de présenter des pistes de réflexion à même d’éclairer utilement tous les acteurs.
Dans cette perspective, le groupe a tenu à associer les partenaires sociaux à ses réflexions. Les différentes organisations professionnelles et syndicales ont ainsi été auditionnées et ont pu réagir sur les différentes propositions formulées.
Champ de l’étude
A titre liminaire, le groupe de travail s’est intéressé à la terminologie employée. La lettre de mission fait référence au terme de « e-travail » or les nombreuses auditions ont montré que la signification de ce mot était controversée. Elle semble viser tout travail organisé autour d’un réseau fonctionnant à l’aide des technologies de l’information et englober ainsi l’ensemble des modifications qu’entraîne l’apparition des nouvelles technologies dans l’entreprise. Or, le groupe de travail a souhaité mener une réflexion sur les seules modalités de travail distant qu’autorisent les nouvelles technologies. Par ailleurs, l’ensemble des interlocuteurs rencontrés utilise le terme de « télétravail », qui correspond à celui de l’accord-cadre européen signé sur le sujet.
En conséquence, le groupe de travail a préféré utiliser le terme de télétravail plutôt que celui de e-travail.
En outre, le groupe de travail a souhaité préciser sa définition du télétravail afin de circonscrire le champ de ses réflexions.
L’accord-cadre européen sur le télétravail définit le télétravail comme « une forme d’organisation du travail et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information, dans le cadre d’un contrat ou d’une relation d’emploi, dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière »[2].
Des définitions plus larges ont pu être retenues. Ainsi, le projet européen EMERGENCE dont l’objectif était de cerner le e-travail et qui s’est intéressé aux pratiques des entreprises installées en Europe, a défini le e-travail comme « tout type de travail qui fait usage d’outils de traitement de l’information et de télécommunications pour en livrer le produit à un employeur ou un client distant ».
Le groupe de travail, quant à lui, estime que le télétravail peut être défini comme étant le travail qui s’effectue, dans le cadre d’un contrat de travail, au domicile ou à distance de l’environnement hiérarchique et de l’équipe du travailleur à l’aide des technologies de l’information et de la communication.
Le groupe de travail a donc volontairement inscrit sa réflexion dans le cadre du salariat. Certes, le travail à distance peut également prendre la forme d’un travail indépendant dans lequel les technologies de l’information facilitent le contact entre le donneur d’ordres et son prestataire. Mais il lui a semblé que ce n’étaient pas les seules nouvelles technologies qui devaient susciter une évolution des modes d’emploi, lesquelles relèvent des choix de l’entreprise. C’est pourquoi, les travaux du groupe ont été menés dans le cadre d’une relation de travail inchangée.
Le rapport a été soumis à l’ensemble des membres du Forum des droits sur l’internet et adopté par le Conseil d’orientation du Forum dans sa séance du 22 novembre 2004.
Plan du rapport
Afin d’informer les entreprises et leurs salariés, le présent rapport dresse un état des lieux des pratiques de télétravail en France et à l’étranger ainsi que le profil du télétravailleur français (I).
Ces pratiques permettent de se rendre compte des potentialités qu’offre le télétravail mais aussi des actuelles interrogations qu’il suscite tant auprès des salariés que des employeurs (II).
Le Forum a souhaité répondre à de telles interrogations en proposant un environnement de confiance à même de favoriser le développement du télétravail en France (III).
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A.- Des formes très différentes de télétravail salarié
Les auditions ont montré que quatre formes différentes de télétravail salarié existent.
1.- Le télétravail en réseau au sein de l’entreprise dans des locaux géographiques distincts
Dans ce cas de figure, le salarié est localisé dans un site géographique mais il relève d’un manager localisé dans un autre site, voire travaille dans une équipe relevant d’un autre site. Les nouveaux outils techniques (réseau intranet, messagerie, agenda partagé, groupware) permettent la formation d’une équipe virtuelle établie sur différents sites.
Cette évolution peut se faire de deux manières.
Dans certains cas, le télétravail s’organise dans des locaux géographiques qui ne sont pas dédiés à cet effet. Certaines entreprises permettent ainsi à certains salariés de rester dans leurs locaux traditionnels tout en travaillant sous le contrôle d’une hiérarchie et avec une équipe installée dans un autre site de l’entreprise. Une telle solution permet ainsi de réorganiser l’entreprise sans imposer un déménagement des salariés. Elle offre également une réponse adaptée et souple aux désirs de localisation de certains salariés.
Dans d’autres cas, le télétravail se met en place dans des locaux dédiés à cet effet. Certaines entreprises ont ainsi mis en place des centres de proximités pour leurs salariés autour de Paris. Ce choix est inspiré par la volonté de limiter les temps de trajet des salariés et de rationaliser les investissements immobiliers de l’entreprise. Il apparaît ainsi plus efficient de prévoir des sites répartis dans la périphérie parisienne pour des populations commerciales amenées à se déplacer pour aller à la rencontre de leurs clients.
Une telle organisation ne modifie pas fondamentalement le lien qui existe entre le salarié et l’entreprise. Elle a, en revanche, une incidence réelle en terme d’organisation des équipes de travail et de management.
2.- Le télétravail dans des locaux partagés par plusieurs entreprises
Dans ce cas de figure, le salarié de l’entreprise travaille à distance de son équipe dans des télécentres où sont également présents des salariés d’autres entreprises. Il y dispose d’un poste de travail à partir duquel il peut aisément communiquer avec son entreprise.
Une telle organisation peut créer un sentiment de plus grande distance entre l’entreprise et le salarié. Celui-ci peut se sentir moins intégré au sein de son équipe, voire de l’entreprise elle-même, puisqu’il ne travaille plus au sein de ses locaux. En revanche, elle ne modifie pas en profondeur la relation du salarié au travail. Celle-ci continue de se réaliser dans un temps et un lieu déterminé, distinct de la vie privée du salarié.
Tout en conservant un poste de travail physique au sein de l’entreprise, le salarié peut utiliser les technologies de l’information et les outils de travail mobiles pour travailler depuis n’importe quel lieu. Ceci a comme incidence de « nomadiser » le travail de nombreux salariés, qui, jusque là, était considéré comme ne pouvant s’exercer que dans les locaux de l’entreprise.
Néanmoins, pour certaines catégories de salariés, il ne s’agit pas d’une forme de travail inédite. Les commerciaux ou les agents techniques d’intervention ont toujours pratiqué le travail nomade. Pour ces métiers, les technologies de l’information ne font que faciliter ces formes de travail et le contact avec l’entreprise.
Cependant, tous les salariés ne perçoivent pas le développement de ces nouveaux outils comme une évolution neutre pour l’organisation du travail. En effet, les nouvelles technologies peuvent entraîner un contrôle plus approfondi de l’employeur par l’utilisation des fonctionnalités des nouveaux outils (par exemple en permettant la géolocalisation des intervenants). Cette mobilité peut également entraîner une distension du lien avec l’entreprise en rendant moins nécessaire le passage dans ses locaux puisque certaines tâches qui devaient auparavant s’effectuer sur le lieu de travail peuvent maintenant être réalisées n’importe où. Il en va ainsi, par exemple, des commerciaux qui rédigent directement leurs comptes-rendus sur leur ordinateur portable pour les expédier par courrier électronique à leur entreprise. Ils passeront donc moins de temps au sein des locaux communs.
Le salarié peut travailler à domicile grâce aux nouvelles technologies puisqu’il peut avoir accès plus facilement à son environnement de travail.
Les auditions ont néanmoins montré qu’il convient de distinguer clairement trois situations.
En premier lieu, le télétravailleur peut travailler de façon exclusive à son domicile ; ceci de façon permanente ou pour une période de temps limitée (par exemple pour s’occuper d’une personne malade). Le télétravailleur pourra passer de manière ponctuelle dans les locaux de l’entreprise lorsqu’il est salarié ou bien rencontrer des clients. Mais son lieu de travail sera de manière prédominante son domicile.
En deuxième lieu, le travail peut s’effectuer en partie à domicile. Dans ce cas, le télétravailleur conserve un lien plus important avec son environnement de travail en alternant une présence domicile/bureau. Dans la plupart des expériences mentionnées lors des auditions, le télétravail s’organise autour de cette deuxième modalité, le salarié ne travaillant à son domicile que deux ou trois jours par semaine ; le reste du temps, il travaille dans les locaux de l’entreprise. Cette forme de travail a souvent été appelée travail » télépendulaire « , en alternance dans les locaux de l’entreprise et à domicile.
Enfin, certaines sociétés sont organisées entièrement autour du télétravail à domicile. Ainsi, lors d’une des auditions, une entreprise a indiqué au groupe de travail qu’elle ne possédait pas de locaux ; les réunions ayant lieu dans des salles louées pour l’occasion. La plupart des réunions restaient virtuelles (avec audio et partage d’applications) ; l’ensemble des salariés ayant été recruté dès l’origine pour ne travailler qu’à domicile.
B.- Le télétravail en France se développe lentement et de manière différenciée
Jusqu’à présent, il n’existait pas d’évaluation chiffrée et détaillée sur le télétravail en France. Les seules données provenaient d’études globales sur le travail distant menées à l’échelle européenne. C’est pourquoi le Forum des droits sur l’internet a souhaité qu’une étude approfondie sur le télétravail soit conduite, pour la première fois, en France. Pour ce faire le Forum a demandé à la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) du ministère du travail de cerner statistiquement la population des télétravailleurs français[3] (l’étude complète figure en annexe).
1.- La progression du télétravail en France est lente mais régulière
L’étude demandée par le Forum des droits sur l’internet à la Dares permet d’estimer le nombre de télétravailleurs en France à 7% de la population active salarié. Parmi cette population, le télétravail à domicile concerne 2% des salariés (soit 440.000 personnes) et le télétravail nomade 5% (soit 1.100.000 personnes).
Ces chiffres permettent de constater que la progression du télétravail en France est lente mais régulière. Les données chiffrées provenant des études européennes estimaient en effet qu’en 2003 la France comptait environ 6% de télétravailleurs[4] et en 2001 5,6%[5].
2.- Le télétravail se développe dans un cadre largement informel
Les auditions et travaux menés par le Forum permettent de constater que le télétravail se pratique en France dans un cadre encore largement informel. En effet, le télétravail se met souvent en place de façon ponctuelle pour répondre à des situations individuelles. En s’organisant ainsi de manière spontanée, le télétravail n’est que rarement formalisé par un contrat de travail en bonne et due forme.
3.- Un phénomène qui concerne aujourd’hui surtout les » cols blancs «
Il est difficile de dresser un profil type du télétravailleur car, comme on l’a vu, il existe différentes formes de télétravail. L’étude susmentionnée a néanmoins permis de dégager un certain nombre d’indications. Six caractéristiques principales peuvent se dégager.
a.- Les télétravailleurs sont principalement des cadres
Le télétravail concerne essentiellement des salariés qualifiés. Ainsi, pratiquement aucun ouvrier et peu d’employés peuvent être considérés comme des télétravailleurs.
Près de la moitié des télétravailleurs à domicile sont des ingénieurs ou des cadres et pour un tiers des professions intermédiaires. Ainsi, 10% des cadres peuvent être considérés comme des télétravailleurs à domicile (4% fixes, 6% alternants), mais seulement 2% des professions intermédiaires (respectivement 1% et 1%).
Le télétravail nomade concerne encore plus les salariés qualifiés puisque la moitié de ces télétravailleurs sont des ingénieurs ou cadres, et un cinquième seulement appartiennent à des professions intermédiaires. Le télétravail nomade est pratiqué par 20% des cadres, 9% des professions intermédiaires et 3% des employés.
b.- Les télétravailleurs sont surtout des hommes
Les femmes sont minoritaires parmi les télétravailleurs : elles représentent 43% des télétravailleurs à domicile (soit deux points de moins que leur part dans la population salariée). Il convient de noter que la probabilité qu’une femme soit télétravailleuse à domicile ne dépend pas du fait qu’elle aie des enfants ni du nombre d’enfants, ce qui contredit l’hypothèse, parfois avancée, selon laquelle le télétravail serait favorisé par le souhait des femmes de pouvoir mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale.
c.- Les télétravailleurs nomades sont majoritairement en CDI à temps plein
Les télétravailleurs nomades sont plus souvent en contrat à durée indéterminée (CDI) à temps plein (90%) que l’ensemble des salariés en France (74%). En revanche, en ce qui concerne les télétravailleurs à domicile, on ne peut faire de lien entre le statut de l’emploi et le recours au télétravail. En effet, ils peuvent tout autant être en CDI à temps plein ou a temps partiel qu’en contrat précaire (contrat à durée déterminée ou intérim).
d.- Les télétravailleurs exercent principalement dans le secteur financier et les services aux entreprises
Deux secteurs se distinguent par une utilisation plus intensive du télétravail : le secteur financier (banques et assurances), avec 3% de télétravailleurs à domicile et 9% de télétravailleurs nomades ; et surtout les services aux entreprises, qui comptent 4% de télétravailleurs à domicile et 16% de télétravailleurs nomades. Du fait de leur relativement faible proportion de cadres, le BTP, le commerce, les services aux particuliers et les transports sont nettement en retrait ; l’industrie et l’administration se situent dans la moyenne.
e.- Les télétravailleurs bénéficient d’horaires plus souples mais aussi plus longs
Les télétravailleurs ont des horaires plus souples. Ainsi, chez les cadres, 57% des télétravailleurs à domicile et 53% des télétravailleurs nomades déterminent librement leurs horaires de travail, contre 35% des cadres ordinaires. Il convient néanmoins de noter que cette liberté s’accompagne souvent de débordements du travail sur le temps familial. Les télétravailleurs sont beaucoup plus nombreux à signaler travailler la nuit, le samedi ou le dimanche. Les plus concernés sont les salariés travaillant en partie à domicile : 20% d’entre eux signalent travailler » habituellement » la nuit[6] (contre 10% des autres salariés).
f.- Les télétravailleurs sont bien insérés dans leur emploi
Les télétravailleurs sont bien insérés dans leur entreprise ou leur collectif de travail (cf. ils sont le plus souvent en CDI à temps plein). Ils sont ainsi plus nombreux que les autres salariés à avoir reçu une formation au cours des douze derniers mois (par exemple, 47% des nomades contre 28% des salariés ordinaires). De plus, il semble qu’ils ne souffrent pas non plus d’un isolement social particulier : les salariés travaillant en partie à domicile signalent plus souvent (63%) fréquenter des collègues hors du travail que les autres salariés (52%). Enfin, les auditions ont montré que cette bonne insertion peut également s’expliquer par le fait que le télétravail est le plus souvent fondé sur du volontariat et concerne davantage les salariés ayant de l’ancienneté.
4.- Quelques entreprises pilotes
Le télétravail est formellement mis en place au sein de quelques grandes entreprises dans des secteurs bien déterminés
La mise en place » formelle » du télétravail est surtout le fait de quelques entreprises de taille importante et dépendant majoritairement de secteurs bien identifiés tels que les services aux entreprises, les télécoms ou encore l’informatique. Parmi ces entreprises on peut, par exemple, citer EDF-GDF, IBM France, France Télécom ou encore Accenture France. Ces entreprises ont formalisé la mise en place du télétravail par le biais de charte ou d’avenant au contrat de travail.
EDF et GDF ont, dans le cadre d’une concertation avec les représentants des fédérations syndicales, élaboré un référentiel d’Entreprise (juillet 2001) intitulé « Principes applicables au télétravail dans les Unités d’EDF et Gaz de France« . Ce référentiel reconnaît l’utilisation du télétravail comme mode d’organisation et comme une réponse possible aux besoins permanents d’adaptation et à la gestion des multiples implantations locales. De plus, une » Convention de mise en télétravail » a été instaurée ; elle comporte les conditions d’exercice du télétravail[7] (durée, lieu, conditions matérielles, etc.).
Le développement du télétravail à EDF et Gaz de France est associé à de nombreux enjeux allant de l’amélioration des performances et la réduction des coûts à l’innovation sociale (diminution des temps de trajets, amélioration des conditions de vie des personnels, responsabilisation et autonomie) en passant par la recherche de l’intérêt général (aménagement du territoire, développement économique local, environnement). Pour EDF-GDF, la particularité du télétravail réside d’ailleurs dans cette recherche d’équilibre entre intérêts particuliers et intérêt général, qui permet de mutualiser les ressources et de répondre au plus près aux besoins des agents, tout en accroissant les rendements.
IBM France a mis en place depuis 1999 un » Programme Mobilité » qui donne la possibilité de travailler de un à trois jours par semaine dans un site dit de proximité. Le site de proximité est une solution intermédiaire entre le tout télétravail à domicile et le travail traditionnel en entreprise. Cette initiative, dont les réflexions ont démarrées dès 1994, était prise parce qu’IBM souhaitait optimiser son parc immobilier dont les coûts vont croissants et que les employés demandaient à améliorer leur ratio vie privée/vie professionnelle en réduisant les temps de transports.
La mise en place du programme Mobilité a été formalisée par l’édiction d’une » Charte de la Mobilité « . Elle rappelle les règles de bonne conduite à tenir pour respecter la vie privée des collaborateurs, leur charge de travail ou encore la réversibilité du télétravail. De plus, un modèle d’échange de courrier interne formalise le passage à la mobilité en rappelant, en particulier, la limite des trois jours par semaine hors du bureau.
IBM France a estimé que le bilan est positif[8] mais que le télétravail suppose un changement des mentalités et que les employés aient une grande autonomie dans leur travail. Il est en effet nécessaire que leur supérieur hiérarchique leur fasse confiance et que cette confiance soit réciproque ; ce qui sous-entend une évolution des mentalités et des cultures. Enfin, IBM France estime que, pour que ce système s’implante, il faut que les lieux de proximité soient attractifs pour compenser la tendance naturelle qui consiste à aller auprès des collègues et des managers. C’est pourquoi dans chacun de ces sites se trouve un secrétaire d’accueil ou encore des restaurants ou des parkings.
France Télécom a créé dès 1997 une Direction de Projet Télétravail au sein de la Direction de l’Innovation et des Nouveaux Usages, en 2002 cette direction a été confiée à la Direction des ressources humaines[9].
Des bénéfices liés au télétravail ont été constatés tant par les salariés que par la direction. Les salariés estiment bénéficier de gain de temps (en ne repassant pas au bureau notamment) et d’une meilleure gestion de leur travail (possibilité de travailler en différé). Pour la direction, les salariés sont plus réactifs (réponse quasi-instantanée aux courriels) et plus productifs (plus de rendez-vous par jour). Enfin, le télétravail permet également d’économiser des mètres carrés de bureau.
Dès 1997, les aspects juridiques du télétravail ont été abordés, avec l’élaboration d’un cadre juridique pour le travail à domicile (alterné principalement) destiné à préciser les obligations réciproques des salariés, de leur encadrement et de l’entreprise. Ce cadre juridique se traduit par un avenant au contrat de travail ou » Protocole d’accord de télétravail » co-signé entre le salarié et son manager.
Accenture France a mis en place un programme de télétravail en 2002 (projet » Great Place To Work « ). Ce projet, fondé sur le volontariat, prévoit notamment qu’il ne peut y avoir de télétravail à temps plein, le maximum autorisé étant de deux jours par semaine ; ces jours doivent être choisis d’un commun accord avec la hiérarchie.
Les salariés souhaitant télétravailler signent un avenant au contrat, nommé » Avenant pour le télétravail « , dans lequel les conditions du télétravail sont prévues.
Sur les 3200 salariés d’Accenture France, on ne compte qu’une cinquantaine de télétravailleurs. Les métiers concernés (outre quelques consultants) sont plus particulièrement les fonctions de support tels que les documentalistes, juristes ou encore les contrôleurs de gestion. De fait, le télétravail est le plus souvent pratiqué pour faciliter une reprise d’activité » en douceur » (maternité, longue maladie…).
Quelques PME sont allées plus loin et se sont organisées entièrement autour du télétravail, sans bureaux. C’est le cas, par exemple, de la société Mayetic, éditrice de logiciels et spécialisée en espaces de travail collaboratifs où les 25 salariés travaillent entièrement à leur domicile.
5.- Une quasi-absence du secteur public
a.- En tant qu’employeur
L’administration n’a pas souhaité développer une politique de télétravail volontaire pour ses propres services qui aurait pu être à l’origine d’une dynamique plus large. Ainsi, les exemples de télétravail réalisés au sein de la fonction publique sont rares (Rectorat de l’Académie de Bordeaux, Office National du Lait, Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé principalement) et le plus souvent menés à l’initiative des agents eux-mêmes.
On peut néanmoins noter l’élaboration d’un guide d’information sur le télétravail au sein de la fonction publique élaboré par la Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique ainsi que l’existence des protocoles d’accord sur le télétravail à domicile[10].
b.- En tant que politique publique
Le rôle des pouvoirs publics dans le développement du télétravail apparaît relativement faible. En effet, il n’y a pas eu de politique globale en faveur du télétravail. L’action des pouvoirs publics a été essentiellement menée dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire. Des projets visant à soutenir le développement économique et la compétitivité des territoires sont apparus en effet dans les années 1990 avec la volonté de développer les télécentres. Ils n’ont cependant eu qu’un succès relatif. En effet, il n’avait pas été suffisamment pris en compte le fait que le télétravail est avant tout un outil au service de la stratégie et de l’organisation de l’entreprise. L’appel à projets télécentres, récemment lancé par la DATAR, devrait néanmoins s’inscrire dans cette perspective et apporter un soutien effectif aux territoires[11].