Cyberworkers

Télétravail d’avenir

Conférence de Nicole Turbé-Suetens lors du TEDx à Paris en 2011

Alors, effectivement, on aurait pu faire ça à distance, mais il y a une grande règle de base que je partageais avec vous David, c’est que, avant de pouvoir télétravailler, il faut se connaître, et une fois qu’on télétravaille il faut se rencontrer régulièrement. Donc, aujourd’hui, on a 60 % des Franciliens pour qui le trajet domicile-travail est devenu un cauchemar quotidien, dans lequel ils perdent en moyenne 2 heures par jour, et qui sont 2 heures de leur vie, bien entendu, puisque cela ne fait pas partie du temps de travail. 72 % d’entre eux, le font en voiture. Et tout ça pourquoi, pour un grand nombre d’entre eux, pour aller dans un bureau s’asseoir derrière un écran, pour travailler sur un ordinateur, ce qu’ils auraient pu faire n’importe où. Ils arrivent, en général, fatigués, stressés, plutôt d’humeur maussade au bureau en ayant besoin de décompresser après le trajet, et on se rend compte, que aujourd’hui, lorsqu’on appelle la société de l’information, il y a 65 % des trajets pour aller au travail qui se passe entre 7h et 9h du matin, et 54 % quittent leur travail entre 17h et 19h. Alors, moi qui pensais qu’on était rentré dans l’ère de la flexibilité, je crois que j’ai tout faux, ou alors je suis trop en avance, mais on n’y est pas encore. Alors qu’en fait, on pourrait travailler tout autrement. A l’heure où les DRH nous parlent continuellement d’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, où on parle de plus en plus de bien-être au travail après certains drames, pourquoi ne pas envisager tout simplement une solution qui est à portée de main, et qui serait de télétravailler à temps partiel. Et là, David, j’insiste aussi, à temps partiel. Alors, la notion même de télétravail, en France, est bien définie. Je vais faire une seconde de théorie, c’est tout simplement un  mode d’organisation et de restitution du travail, qui utilise les technologies de l’information dans le cadre d’un contrat de travail, et qui, au lieu de se faire dans les bureaux de l’employeur, se fait sur une base régulière, ailleurs que dans les bureaux de l’employeur. Alors, on pourrait faire un petit test rapide, mais ce n’est pas très facile, vu les lumières, de dire qui est salarié ici, et surtout la question, qui a un avenant à son contrat de travail lui permettant de télétravailler. Y-a des mains qui peuvent se lever ? Il y en a quelques-unes. Pas beaucoup par rapport à l’époque où nous sommes. Alors, qu’en fait, le travail aujourd’hui, est la valeur N°2 dans la hiérarchie des valeurs des Français. Et le travail, malheureusement, est devenu pour beaucoup d’eux, un sujet de souffrance, de malheur, de malaise pardon, d’angoisse, quelque fois même de peur, au lieu d’être un élément d’épanouissement, d’affirmation de soi, d’enrichissement intellectuel et matériel, et comme le disait récemment un chercheur, Francis Ginsbourger, de l’Ecole des Mines,  « ce qui tue le travail, c’est l’exécution, la gestion sans âme et processus de production ». Dans le cadre d’un système de management français, où finalement c’est encore la notion de commandement au sens militaire qui prime. Et nous avons, effectivement, des organisations qui sont beaucoup trop figées, avec un management qui manque totalement de mobilité mentale, et non pas la mobilité physique faite pleine d’outils et de gadgets que nous connaissons tous, y compris les BlackBerry, jour et nuit, week-end et vacances, comme nous le disait notre dessinateur préféré tout à l’heure. Mais cela coûte extrêmement cher à la société. La France aujourd’hui, est triple championne : elle est championne de l’absentéisme, elle est championne de la consommation des médicaments psychotropes et les risques psychosociaux sont en train de grimper en flèche dans l’échelle des maladies professionnelles. Alors pourquoi, ne pas travailler autrement ? A temps partiel, pour éviter tout ce gâchis, social et économique. Finalement, toutes les parties prenantes y trouveraient leurs comptes. Les employeurs, parce qu’ils auraient des salariés beaucoup plus détendus, mieux concentrés, plus productifs et moins absents. Les salariés, qui regagneraient du temps de vie pour être auprès de leurs familles et avoir des activités autre que le travail et la fatigue. Et finalement, ne l’oublions pas, la collectivité, les communes dans lesquelles vivent les salariés, qui garderaient leur population une partie de la semaine sur place, qui consommerait sur place et qui contribuerait au développement d’activités, tout ça dans une meilleure intégration sociétale à ce stade-ci. Alors, je ne vais pas faire le calcul détaillé avec vous, mais on va prendre un cas extrêmement simple, celui de Jean-Claude qui a un trajet de 45 minutes, ça lui fait donc 1h30 par jour. On va partir sur une base bien connue qui est celle d’une semaine de travail de 35h, ce n’est pas le débat, c’est un étalon que nous connaissons tous. Et imaginez, s’il télétravaillait, alors ici on va dire à temps plein, ce que ça lui permettrait d’économiser sur une année en temps de vie. C’est-à-dire du temps qu’il récupère pour lui pour vivre. Ben, nous arrivons à 10 semaines, soit 2 mois ½. Alors, je vous laisse à chacun, de faire le calcul pour vous-même, en fonction du fait que vous souhaiteriez télétravailler 1 jour ou 2 jours, de voir ce que vous pourriez récupérer pour vivre. Et le sujet devient d’autant plus important, que toutes les études montrent, qu’à l’horizon de 2050, 70 à 80 % de la population vivra dans les villes. Et par exemple, en Ile de France, on envisage, d’après ces mêmes calculs, 320 000 actifs en plus. Donc, vous voyez si la notion de trajet domicile-travail prend une ampleur encore supplémentaire, puisque la population active dans ce même espace va augmenter. Et nous savons tous que les transports en commun, vous avez vu, 72 % utilisent leur voiture, donc les transports en commun ne jouent pas le rôle qu’ils devraient jouer. Et en plus, ils sont aujourd’hui à saturation et malgré les plans de développements, les nouvelles offres vont arriver beaucoup trop tard par rapport au besoin de vie des citoyens salariés. Et ce n’est pas le projet du Grand Paris qui va tout résoudre immédiatement. D’autant plus que ce projet a absolument ignoré la dimension numérique du futur, des villes et des déplacements. Et c’est ici que la notion de  ville numérique prend toute sa dimension, puisque c’est aussi un des grands projets d’avenir au niveau mondial, d’offrir localement, grâce au très haut débit, des nouveaux outils, des nouvelles ressources et des nouveaux moyens aux citoyens, pour pouvoir consommer, travailler, beaucoup plus près de chez eux. Et c’est ici qu’il faut intégrer toute la notion sur laquelle certains commencent à travailler, de réseaux de télé-centres, interconnectés de préférence, en Ile de France, pour permettre à un beaucoup plus grand nombre, de pouvoir travailler près de chez soi, sans que ce soit nécessairement à son domicile, parce qu’ici il faut éviter une future discrimination sociale. Tout simplement, parce que tout le monde ne peut pas travailler chez soi, pour des raisons qui sont soit de place, soit d’environnement familial. Donc, il y a un certain nombre d’entreprises qui sont déjà passées à l’acte. Et je pense qu’aujourd’hui, Mesdames et Messieurs  qui sont des décideurs dans cette salle, vous avez une première grande décision à prendre en ce début d’année 2011, c’est de revoir votre organisation. Je pense à la personne qui m’a précédée, et qui nous a également montré combien, finalement, beaucoup de changements étaient cosmétiques et pas profonds. Ici, c’est un changement profond d’organisation auquel il faut procéder. Et cela vous permettra, en même temps, de faire face aux nouveaux fléaux dont nous sommes dépendants, tels que des pandémies, tels que des catastrophes naturelles, tels que des attentats et autres réjouissances qui peuvent arriver. Prenons un cas très simple, celui d’Alcatel-Lucent, dont il était question dans la presse, il y quelques jours. Chez Alcatel, il y a 25 % des 7 000 salariés français qui sont en télétravail aujourd’hui, en moyenne 1 jour par semaine. Et cela a déjà permis de mesurer un bond dans la qualité du travail fourni, auquel s’ajoute une mesure toute récente, en 2009, 900 000 kilomètres d’économisés, 2 fois le tour de la Terre. Plus 95 000 kilos de CO2 non consommés. Donc ce type de calcul, aujourd’hui, est encore très rarement fait dans les entreprises françaises et le lien entre l’organisation du travail et ces aspects-là du développement durable sont très rarement pris en considération. Alors, vous avez vu un point d’interrogation là en bas, peut-être vous demandez-vous c’est qui le suivant. Est-ce que c’est une question ouverte ? Non, elle pas ouverte du tout, c’est une réponse, au contraire. Et je suis personnellement très contente de cette réponse qui arrive, c’est l’expérimentation que va lancer l’administration centrale de Bercy, au premier semestre 2011. Et, personnellement, j’attendais depuis très longtemps, ce grand signal de l’Etat, parce qu’en France, l’Etat, très souvent, doit montrer l’exemple, c’est tout simplement l’annonce également par François Baroin et Georges Tron, d’une mission sur le télétravail dans la fonction publique. Alors, je pense que maintenant, c’est à vous de prendre vos risques et d’y aller.

Je vous remercie.

 

Nicole Turbé-Suetens, formée à l’Institut supérieur de commerce de l’état à Anvers, a obtenu un DEA à Paris-Dauphine. Elle a enseigné à l’IAE Paris et à l’Université technologique de Compiègne.
Elle a travaillé pendant seize ans chez IBM où elle a géré l’offre logicielle liée au lancement du PC. Elle a ensuite participé à la création d’IBM Conseil et pris des responsabilités à la direction qualité et au re-engineering mondial en 1995 et 1996. Parallèlement, elle a travaillé à la mission gouvernementale sur le télétravail et à la mise en place des premiers bureaux partagés.
En 1996, elle a créé le cabinet de conseil Distance Expert, spécialisé dans les nouvelles organisations du travail. En 1997, elle est devenue experte auprès de la Commission européenne et a créé l’Association française du télétravail et des téléactivités.
En 2003-2004, elle a fait partie de la mission eTravail animée par le Forum des droits sur l’Internet. Elle a dirigé de 2001 à 2003 le consortium européen e3Work tourné vers l’Europe de l’Est, et de 2006 à 2008 le consortium eSangathan centré sur le travail des seniors.

Livres :
Guide Pratique du Télétravail coauteure, éd. l’Organisation, 1997
Teamwork and Groupware, éd. Wiley, 1996
Travail et Activités à Distance, éd. l’Organisation, 2000
Le Télétravail en France : les salariés sont prêts, avec Pierre Morel, éd. Pearson, 2010

 

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